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Actionnaire minoritaire et décote de la valeur boursière

05/04/2009 - La décote est inversement proportionnelle au flottant

THÉMATIQUE DE CET ARTICLE

Pourquoi les petites actions sont souvent décotées ? Cette décote est-elle légitime ou est-ce une opportunité ?

Nous avons vu dans Investir dans la valeur (1/2), qu’investir dans la valeur, c‘était acheter une action en payant un prix moins élevé que ne l’est sa valeur intrinsèque. L‘évaluation de la valeur intrinsèque peut se faire par une approche patrimoniale ou par une estimation des flux futurs.

Un point qui est rarement abordé est que la valeur intrinsèque varie aussi selon que vous êtes actionnaire majoritaire ou minoritaire. En tant qu’actionnaire minoritaire, la valeur subit nécessairement une décote, c’est l’objet de l’article d’aujourd’hui.

Exemple d’un fonds de commerce avec deux associés

Pour simplifier, nous allons prendre déjà le cas d’un fonds de commerce. Imaginez un commerce de 100 k€ que vous achetez avec votre conjoint. Votre conjoint met 51 k€ sur la table et vous 49 k€. Votre conjoint est gérant majoritaire et tient le commerce. Vous êtes investisseur minoritaire et ne participez pas à la gestion au quotidien du commerce.

Imaginons maintenant que vous vous fâchiez avec votre conjoint. Quelle valeur vaut votre participation ? L’approche patrimoniale nous dit que c’est 49 k€, l’approche par les flux nous dit que cela dépend des résultats futurs, dont vous êtes propriétaire à 49%, et qui vous serons en parti restitués sous forme de dividendes.

Mais dans la réalité, vous n‘êtes que minoritaire et rien ne dit que la gérante acceptera de verser des dividendes, surtout si vous êtes fâchés. Elle peut simplement choisir de les laisser en trésorerie ou d’augmenter sa rémunération mensuelle. Si elle les laisse en trésorerie, la valeur intrinsèque de vos parts augmente, puisque vous êtes propriétaire de 49% de la société et donc de la trésorerie. Toutefois, dans la mesure où la société ne verse aucun dividende, la seule façon de concrétiser cette valeur, c’est de revendre vos parts.

Mais à qui ? Qui voudra racheter 49% des parts d’une société qui ne verse pas de dividendes et sur laquelle il n’a aucun pouvoir de décision ? La réponse est : personne. Vos 49% ne valent en fait rien du tout !

Exemple d’un fonds de commerce avec trois associés

Imaginons maintenant la répartition suivante : 40% pour la gérante, 30% pour un premier investisseur et 30% pour un second. La gérante est toujours majoritaire par rapport aux deux autres, sur une base individuelle. Mais la situation est totalement différente : les deux investisseurs peuvent s’allier et décider du versement d’un dividende ou non. Ils peuvent même modifier la rémunération de la gérante, voir la mettre à la porte et choisir quelqu’un d’autre.

Les pièges à valeur

En bourse, il y a des actions que l’on appelle “value trap”, ou piège à valeur. Ce sont des actions très décotées, qui sur une base patrimoniale valent par exemple 10 € / action et cote en bourse 4 € par action. En France, elles se trouvent souvent sur le marché secondaire ou le marché libre.

Dans la quasi-totalité des cas, elles ont un actionnaire majoritaire individuel qui possède plus de 50% des parts, le flottant est donc réduit et les transactions quotidiennes peu nombreuses.

Un investisseur dans la valeur peut être tenté d’en acheter et attendre que d’autres investisseurs se rendent compte que l’action est bon marché. Avec un peu de chance il touchera quelques dividendes en patientant. Dans le pire des cas, il va attendre parfois… (très) longtemps ! Voilà, il est tombé dans un piège à valeur. Une action dont personne ne veut simplement parce que vous êtes à la merci du dirigeant, irrévocable car il est actionnaire majoritaire.

Vous ne pouvez pas non plus espérer d’OPA pour vous sauver, un rachat par un concurrent qui concrétiserait la valeur intrinsèque, simplement car le dirigeant n’apportera probablement jamais ses titres à une OPA, sa société étant son outil de travail, son bébé. D’ailleurs, pourquoi vendrait-il ? Il se rémunère grassement tous les mois pendant que vous patientez !

Un jour peut-être, il lancera une OPR et retirera les titres de la cote, offrant aux actionnaires minoritaires la moyenne des vingt dernières cotations et une petite prime de 10%. Avec un peu de chance, vous ferez une petite plus-value à ce moment-là !

En attendant, vous ne pouvez que squatter les forums Boursorama pour dire du bien de cette société, de sa forte décote, et espérer que le titre remonte sous le coup de quelques achats, pendant que vous vendrez les vôtres à un autre “pigeon” qui prendra votre place.

Les véritables opportunités

Si vous trouvez une action qui se paye manifestement nettement moins que sa valeur intrinsèque, elle n’est une opportunité que sous l’une de ses deux conditions :

  • Il y a un actionnaire qui détient plus de 50% des parts, mais le dirigeant est sérieux, respecte ses actionnaires et verser des dividendes est inscrit dans la stratégie de l’entreprise (ou une obligation légale dans le cas d’un REIT). Souvent, la société communique beaucoup, sur son site Web ou ailleurs.
  • Aucun actionnaire ou groupe d’actionnaires ayant signé un pacte, ne détient plus de 50% des parts.

Dans tous les autres cas, vous êtes à la merci de l’actionnaire majoritaire, et il est donc légitime que la société subisse une forte décote. Votre marge de sécurité à l’achat doit en tenir compte et ce type de titres ne doit représenter qu’une part marginale de votre portefeuille boursier.

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C’est quand la mer se retire que l’on voit ceux qui se baignent nus.” – Warren Buffett

 

10 commentaires

Réponse de Philippe
Philippe
06/04/2009
Thierry, par email, me signale cette phrase du légendaire Albert Frère, qui va dans le sens de l'article, pleine de sagesse et d'élégance : "Un petit actionnaire minoritaire est un petit con, un gros actionnaire minoritaire est un gros con !"
Commentaire
2) Auguste
08/04/2009
Bonjour Philippe,

Vous avez parfaitement raison de rappeler les bases. Tout le monde prétend savoir cela depuis longtemps et en fait nos connaissances (et pour une part les miennes également) sont souvent de bric et de broc. Je n'ai pourtant pas compris pourquoi vous craignez de vous faire allumer sur Boursorama ?

Il m'est arrivé de donner des conseils à des proches sur l'investissement en bourse. Ils n'ont évidemment jamais été suivis comme la plupart des conseils ! Cependant, il y a un élément que vous auriez pu rappeler sur les value traps : il y a des investisseurs qui ont un très long terme et d'autres un trop court terme :

Selon la période durant laquelle on entre en bourse (favorable ou non) l'investissement peut donner des bénéfices après 3 ou 10 ans ... ou plus ou jamais !

Par exemple un retraité, s'il veut pouvoir profiter de ses placements (et non les léguer à ses descendants) devra évidemment éviter les value traps. Cela est particulièrement vrai pour tous ceux qui sont entrés sur le marché vers 2002, qui ont fait, sur des mid ou small caps, des investissements value et qui ont été très fortement impactés par la présente crise.

Par contre un investisseur en début ou milieu de vie professionnelle peut très bien investir dans la valeur. Dans un but d'optimisation fiscale il pourra être très heureux de ne pas recevoir de dividendes importants et préférer des plus-values futures.

Cordialement,

AK
Réponse de Philippe
Philippe
10/05/2009
Après relecture du livre L'investisseur intelligent de Benjamin Graham, je m'aperçois qu'il avait traité élégamment ce sujet en un seul paragraphe !

Dans la 4e édition française, page 112 :

"[...]La caractéristique dominante d'une entreprise primaire ou leader, est qu'une action individuelle a pratiquement la même valeur qu'une action de contrôle. Dans les entreprises secondaires, la valeur cotée moyenne d'une action vaut substantiellement moins qu'une action de contrôle. Pour cette raison, le sujet des relations actionnaires-management et les relations entre actionnaires de contrôle et actionnaires indépendants seront tout naturellement beaucoup plus importantes et soumises à plus de controverses dans le cas des secondaires".

La richesse du livre de Graham m'étonnera toujours. La première édition (1949) a pourtant 60 ans !
Réponse de Philippe
Philippe
31/05/2009
J'ai trouvé une fable de la Fontaine en vers et bien à propos...

-- La Génisse, la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion --

La Génisse, la Chèvre et leur sœur la Brebis,
Avec un fier Lion, Seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,
Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la Chèvre un Cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.
Eux venus, le Lion par ses ongles compta,
Et dit : Nous sommes quatre à partager la proie;
Puis en autant de parts le Cerf il dépeça;
Prit pour lui la première en qualité de Sire:
Elle doit être à moi, dit-il; et la raison,
C'est que je m'appelle Lion:
A cela l'on n'a rien à dire.
La seconde, par droit, me doit échoir encor:
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième
Je l'étranglerai tout d'abord.
Réponse de Philippe
Philippe
06/01/2010
J'ai un cas concret dans mon entourage.

Un salarié associé minoritaire d'une société non cotée qui détient 20% des parts, qui ont une valeur comptable de quelques centaines de k€.

Après sa démission, la société propose de lui racheter ses parts une bouchée de pain. Il refuse. La société interrompt alors le versement des dividendes et en lieu et place donne une prime aux salariés/associés restants.

Bien qu'ayant une valeur comptable, en terme de valorisation par les flux futurs, les 20% valent 0.

La seule solution est de s'allier avec d'autres minoritaires pour atteindre les 33% de blocage et "exiger" des dividendes ou revendre en bloc à un tier qui sera intéresser par une minorité de blocage.

Si la société était coté, il aurait eu plus de chance de revendre à des "gogos" mais le raisonnement est le même.
Commentaire
6) asma
17/03/2011
salut a vous tous je prepare un memoire sur la décote de minorité et j'aurais voulu savoir si la décote de minorité est elle encore d'actualité (c'est le sujet que je dois traiter )
merci d'avance pour votre aide
Réponse de Philippe
Philippe
17/03/2011
Absolument et d'ailleurs dans une interview d'un analyste financier que je vais publier la semaine prochaine nous en reparlons.
Commentaire
8) asma
21/03/2011
tu peux m'eclairer svp j'en ai vraiment besoin pour mon memoire tu peux me passer un lien ou un article voici mon mail [email protected]
merci bcp pour votre aide c'est vraiment tres important pour moi
Commentaire
9) Lamarie
28/04/2011
Bonjour Philippe,
Je viens de tomber sur les commentaires et j'aimerai bien que tu me donne aussi les références de ton intervew si c'est possible, car j'ai le même mémoire a faire. Merci du renseigment.
Voici mon mail [email protected]
Réponse de Philippe
Philippe
29/04/2011
Je suis tjs dans l'attente de la validation pour la publication de l'interview.

Mais sinon essayez de trouver l'article "La crise ébranlera-t-elle les inconditionnels du DCF ?" de Benoît Faure -
Jarrosson, qui est paru fin 2009 dans la revue "Analyse financière n°33"

Enfin un article de 3 pages, ça reste mince pour un mémoire... Je surpris que votre directeur de mémoire ne vous ait pas suggéré quelques ouvrages.

Bon courage

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